Je remontais la rue, les yeux bas comme souvent. Le monde autour est tellement laid, et tellement pire que laid : il m'attend. Dans un halo de sourcils, à la faveur de quelque cruel courant d'air, et de ce genre de réflexe idiot que les courants d'air suscitent, je relève brièvement la tête, alors je l'aperçois, qui venait en sens inverse dedans sa vieillerie et ses loques noires et grises. Elle avait repéré, sur un bout plongeant de caniveau, la tentatrice brillance d'une pièce de dix centimes et, du fait que je marchais sans conscience sur elle et cette jolie situation, avait dû se restreindre aussitôt dans sa félicité, s'interrompre un instant dans la descente programmée, avant soudain, à toute vitesse, à toute inquiétude indéfinie (quoique immanquablement justifiée chez les pauvres) de s'emparer enfin à la diable de son trésor, en se baissant alors bien trop vite, en faisant jouer ses muscles et ses nerfs, épuisés, beaucoup trop brutalement. Puisse-t-elle ne point s'être fait mal. Enfin nos regards se croisent, pathétiques mais hétérogènes. Car elle se méprend évidemment sur ma propre étrangeté. Je suis déterré de longue date, surtout le matin à cette heure, mais elle l'ignore. Une contenance apparaît. C'est déjà ça de gagné, me souffle-t-elle en exhibant la pièce tandis que je passe à sa hauteur, et voyant que j'ai vu qu'elle vit. S'excuserait-elle ? Il y a de ça. Mais de quoi au juste ? Et elle me sourit d'abondance, quasi-tremblante. Je lui souris de même. J'insiste. Voilà que ma journée commence ainsi sur le chemin du travail. C'est déjà ça de gagné.
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